Dans le cadre du nouveau régime de taux actuel, Fred Demers, directeur général, Solutions d’investissement multiactif, explore l’une des hypothèses de base de toutes les répartitions de titres à revenu fixe – une cible d’inflation de 2 % – tout en fournissant un précieux contexte historique.
Lorsque les paradigmes changent, les vérités indiscutables d’une époque antérieure disparaissent souvent. On en trouve un exemple dans l’univers des titres à revenu fixe, où les taux d’intérêt sont récemment passés de près de 0 %, un creux historique auquel ils se sont maintenus pendant plus d’une décennie, à plus de 5 % sur une période relativement courte. Pendant ce changement, une hypothèse de base de la politique monétaire a semblé être remise en question : la cible d’inflation de 2 %.
Selon l’opinion dominante, le seuil de 2 % offre un compromis optimal entre la stabilité des prix et la croissance économique. Cependant, les dernières années ont démontré qu’une hausse remarquable de l’inflation, suivie d’une série énergique de hausses des taux par les banques centrales, peut être compatible avec une croissance économique positive. Après deux années d’inflation galopante et de quasi-plein emploi, le modèle des banques centrales a-t-il encore du sens?
Origines de la cible d’inflation de 2 %
À partir de la fin des années 1970, la littérature économique a commencé à mettre l’accent sur le problème de l’ancrage des attentes inflationnistes. L’expérience de l’après-Seconde Guerre mondiale a été celle d’un cycle économique excessivement violent, et ce qui a aggravé la situation, c’est que la politique monétaire n’avait pas évolué. Les banques centrales s’en remettaient encore aux anciennes techniques de politique monétaire pour diriger l’économie. Elles ont augmenté ou baissé la masse monétaire à volonté, créant des incitatifs peu pratiques pour les banques commerciales, qui ont ensuite appris à s’adapter et à devenir des prêteurs en capital plus rapides, plus judicieux et plus astucieux.
Dépenses de consommation personnelles, excluant les aliments et l’énergie (indice des prix en chaîne) : janvier 1960–novembre 2023
Certains décideurs y ont vu une occasion à saisir. Sous la direction de Paul Volcker, président de la Réserve fédérale américaine (la « Fed »), les banques centrales ont commencé à utiliser les taux d’intérêt – ou plutôt le coût de l’argent – comme un outil plus puissant pour contrôler le cycle économique. Cette idée peut sembler banale et commune aujourd’hui, mais elle a été considérée comme une « expérience » radicale lorsque la Fed a déployé des efforts énergiques de désinflation il y a 40 ans. Elle a fonctionné et les prix ont commencé à ralentir en raison des hausses de taux incessantes de M.Volcker, prouvant ainsi que la politique monétaire pouvait contenir l’inflation. Naturellement, la question suivante a été : si vous maîtrisez l’inflation, pourquoi ne pas avoir une cible?
Inflation : Une cible mobile
Fait important, les cibles d’inflation ne sont pas coulées dans le béton. Même si son expérience initiale a été extrêmement fructueuse, la Nouvelle-Zélande a changé sa cible à deux reprises : d’abord en adoptant une cible entre 0 % à 3 %, puis entre 1 % à 3 %2. En août 2020, la Fed est passée à un modèle de cible d’inflation « souple » qui vise une inflation moyenne de 2 % au fil du temps, plutôt que de respecter un principe ferme sur une base annuelle3. Ses dirigeants ont déclaré que l’objectif était de continuer à ancrer les attentes inflationnistes tout en améliorant leur capacité à promouvoir un emploi maximal en période de détresse économique. Y a-t-il un seuil d’inflation idéal? Vaut-il mieux un seuil de 2 % ou de 3 %? Selon la littérature, la plupart des documents en faveur de 2 % semblent avoir été publiés par les banques centrales. Les universitaires sont moins susceptibles de prendre parti, étant donné que le compromis optimal entre l’inflation et la croissance économique est une question qui est encore débattue. Le contexte continue de faire partie du problème. Lorsque M. Bernanke dirigeait la Fed, par exemple, son objectif principal était d’éviter une spirale déflationniste à la japonaise, qui était alors perçue comme un risque plus important que l’hyperinflation.
Les banques centrales préfèrent garder les choses simples : plus la fourchette cible est élevée, moins il est probable qu’elles manquent de marge de manœuvre pour réduire les taux d’intérêt.
En fin de compte, il ne serait pas très surprenant que la Fed envisage de porter sa cible à 3 % afin d’ancrer définitivement les attentes inflationnistes à la hausse. Les marchés de l’emploi et la croissance du PIB aux États-Unis ont fait preuve d’une résilience impressionnante dans le sillage de l’inflation provoquée par la pandémie et, en général, les cibles d’inflation plus élevées ont tendance à maintenir les décideurs dans les limites de la théorie monétaire traditionnelle. Les banques centrales préfèrent garder les choses simples : plus la fourchette cible est élevée, moins elles sont susceptibles de manquer de marge de manœuvre pour réduire les taux d’intérêt et de devoir se fier à des outils non traditionnels, comme les taux négatifs et l’assouplissement quantitatif.
La réaction attendue du marché
À notre avis, le marché pourrait – ou peut-être devrait – interpréter une révision à la hausse de la cible d’inflation comme un signal positif. Cette décision indiquerait que l’économie n’a pas besoin d’être aussi restreinte, toutes choses étant égales par ailleurs, et démontrerait que la Fed consent à laisser l’économie surchauffer. Cela montrerait également que sa décision antérieure d’adopter une cible d’inflation moyenne est un premier pas qui l’éloigne de la limite inférieure de zéro.
Il ne faut pas oublier que toutes les banques centrales souhaitent que la courbe des taux soit positive. On la considère comme une mesure de la normalité économique, mais cette limite de 2 % signifie que les décideurs doivent souvent restreindre la croissance, précisément au moment où les tendances commencent à s’enraciner. Cette inversion délibérée du risque peut être étonnamment dommageable : elle force les investisseurs à conserver des liquidités alors qu’ils devraient obtenir une compensation pour le risque lié à la duration. Elle pousse le capital à devenir improductif et paresseux, et met du sable dans l’engrenage économique. Nous devrions plutôt chercher à ce que le capital soit à la chasse à la croissance, en prenant des risques mesurés et en finançant l’avenir.
L’une des hésitations des décideurs est peut-être qu’en changeant de cible, ils risquent de désarrimer complètement les attentes inflationnistes. Par exemple, le marché pourrait voir une hausse à 3 % et commencer immédiatement à spéculer sur une hausse à 4 %. Une telle perte de contrôle du discours présente des risques importants pour la Fed. Les exercices de communication sont un élément essentiel de la trousse à outils des banques centrales; c’est pourquoi, la Fed lancera probablement un programme de recherche dès le début pour explorer les conséquences potentielles d’un tel changement.
Contrairement à leurs pairs de la Fed, les dirigeants de la Banque du Canada sont peu susceptibles de modifier leur cible d’inflation actuelle. Comme ma collègue Brittany Baumann l’a mentionné dans Diverging Paths : Derrière le schisme économique entre les États-Unis et le Canada, une récente scission entre les économies américaine et canadienne révèle des forces et des faiblesses sous-jacentes très différentes. La sensibilité du Canada aux taux d’intérêt, par exemple, donne à penser que les marchés de l’emploi et de l’habitation sont tout simplement incapables de résister à des hausses de taux continues, tout comme leurs homologues américains.
Que les cibles d’inflation soient modifiées ou non, il reste qu’il est peu probable que les taux d’intérêt de la prochaine décennie reflètent ceux de la décennie précédente. Les répartitions institutionnelles ont déjà changé en conséquence au cours des 12 à 18 derniers mois – les liquidités ont offert une valeur refuge pendant le resserrement; cependant, nous semblons avoir atteint le sommet du cycle monétaire et les actifs sans risque n’offrent pas une exposition optimale aux futures baisses de taux. Une nouvelle dynamique prend forme – une dynamique où les investisseurs institutionnels disposent d’une longue marge de manœuvre pour que le cycle complet se déroule.
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Footnotes
1 Réserve fédérale de St. Louis, « Personal Consumption Expenditures Excluding Food and Energy (Chain-Type Price Index), dernière consultation : 4 janvier 2023.↩
2 Lucy Craymer, “The mouse that roared : New Zealand and the world’s 2% inflation target,” Reuters, 30 janvier 2023.↩
3 Réserve fédérale américaine, « Review of Monetary Policy Strategy, Tools, and Communications », dernière mise à jour : 27 août 2020.↩
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