Repenser la cible d’inflation de 2 % des banques centrales

24 janvier 2024

Dans le cadre du nouveau régime de taux actuel, Fred Demers, directeur général, Solutions d’investissement multiactif, explore l’une des hypothèses de base de toutes les répartitions de titres à revenu fixe – une cible d’inflation de 2 % – tout en fournissant un précieux contexte historique. ­

Lorsque les paradigmes changent, les vérités indiscutables d’une époque antérieure disparaissent souvent. On en trouve un exemple dans l’univers des titres à revenu fixe, où les taux d’intérêt sont récemment passés de près de 0 %, un creux historique auquel ils se sont maintenus pendant plus d’une décennie, à plus de 5 % sur une période relativement courte. Pendant ce changement, une hypothèse de base de la politique monétaire a semblé être remise en question : la cible d’inflation de 2 %.

Selon l’opinion dominante, le seuil de 2 % offre un compromis optimal entre la stabilité des prix et la croissance économique. Cependant, les dernières années ont démontré qu’une hausse remarquable de l’inflation, suivie d’une série énergique de hausses des taux par les banques centrales, peut être compatible avec une croissance économique positive. Après deux années d’inflation galopante et de quasi-plein emploi, le modèle des banques centrales a-t-il encore du sens?

Origines de la cible d’inflation de 2 %

À partir de la fin des années 1970, la littérature économique a commencé à mettre l’accent sur le problème de l’ancrage des attentes inflationnistes. L’expérience de l’après-Seconde Guerre mondiale a été celle d’un cycle économique excessivement violent, et ce qui a aggravé la situation, c’est que la politique monétaire n’avait pas évolué. Les banques centrales s’en remettaient encore aux anciennes techniques de politique monétaire pour diriger l’économie. Elles ont augmenté ou baissé la masse monétaire à volonté, créant des incitatifs peu pratiques pour les banques commerciales, qui ont ensuite appris à s’adapter et à devenir des prêteurs en capital plus rapides, plus judicieux et plus astucieux.

Des innovations financières plus importantes ont entraîné une plus grande vitesse de circulation de l’argent dans l’économie, de sorte que les liquidités, qui étaient auparavant improductives et paresseuses, ne pouvaient plus rester immobiles. Tout à coup, elles circulaient plus rapidement et plus fréquemment. L’économie s’est échauffée. L’inflation a atteint les deux chiffres en 19811ce qui a créé de l’incertitude, et les banques centrales n’ont pas eu d’autre choix que de faire le point sur les conséquences involontaires de leurs interventions. L’instabilité des prix a eu des répercussions massives sur la capacité des sociétés à prendre des décisions de placement à long terme. Ces expériences ont fait comprendre à la population que la volatilité macroéconomique était étroitement liée à l’incertitude liée à l’inflation. Nous avons appris que le cycle économique était en fin de compte dicté par le cycle inflationniste, qui était lui-même un symptôme d’une offre ou d’une demande excédentaire dans l’économie.

Dépenses de consommation personnelles, excluant les aliments et l’énergie (indice des prix en chaîne) : janvier 1960–novembre 2023

Graphique linéaire illustrant les dépenses de consommation des ménages depuis janvier 1960.

Certains décideurs y ont vu une occasion à saisir. Sous la direction de Paul Volcker, président de la Réserve fédérale américaine (la « Fed »), les banques centrales ont commencé à utiliser les taux d’intérêt – ou plutôt le coût de l’argent – comme un outil plus puissant pour contrôler le cycle économique. Cette idée peut sembler banale et commune aujourd’hui, mais elle a été considérée comme une « expérience » radicale lorsque la Fed a déployé des efforts énergiques de désinflation il y a 40 ans. Elle a fonctionné et les prix ont commencé à ralentir en raison des hausses de taux incessantes de M.Volcker, prouvant ainsi que la politique monétaire pouvait contenir l’inflation. Naturellement, la question suivante a été : si vous maîtrisez l’inflation, pourquoi ne pas avoir une cible?

La Banque de réserve de Nouvelle-Zélande a été la première à mettre en œuvre une cible d’inflation officielle en 1990, en évoquant une fourchette privilégiée de 0 % à 2 %. Cependant, ce chiffre était jugé arbitraire et trop ambitieux à l’époque, car l’inflation en Nouvelle-Zélande dépassait 7,6 % et avait atteint en moyenne plus de 10 % par an pendant 20 ans2. Néanmoins, certaines banques centrales ont rapidement suivi, à commencer par la Banque du Canada en 1991 et la Banque d’Angleterre en 1992. En revanche, la Fed n’a embrassé le système qu’en 2012, quand son président de l’époque, Ben Bernanke, a adopté un double mandat de stabilité des prix et de plein emploi.

Inflation : Une cible mobile

Fait important, les cibles d’inflation ne sont pas coulées dans le béton. Même si son expérience initiale a été extrêmement fructueuse, la Nouvelle-Zélande a changé sa cible à deux reprises : d’abord en adoptant une cible entre 0 % à 3 %, puis entre 1 % à 3 %2. En août 2020, la Fed est passée à un modèle de cible d’inflation « souple » qui vise une inflation moyenne de 2 % au fil du temps, plutôt que de respecter un principe ferme sur une base annuelle3. Ses dirigeants ont déclaré que l’objectif était de continuer à ancrer les attentes inflationnistes tout en améliorant leur capacité à promouvoir un emploi maximal en période de détresse économique. Y a-t-il un seuil d’inflation idéal? Vaut-il mieux un seuil de 2 % ou de 3 %? Selon la littérature, la plupart des documents en faveur de 2 % semblent avoir été publiés par les banques centrales. Les universitaires sont moins susceptibles de prendre parti, étant donné que le compromis optimal entre l’inflation et la croissance économique est une question qui est encore débattue. Le contexte continue de faire partie du problème. Lorsque M. Bernanke dirigeait la Fed, par exemple, son objectif principal était d’éviter une spirale déflationniste à la japonaise, qui était alors perçue comme un risque plus important que l’hyperinflation.

Les banques centrales préfèrent garder les choses simples : plus la fourchette cible est élevée, moins il est probable qu’elles manquent de marge de manœuvre pour réduire les taux d’intérêt.

En fin de compte, il ne serait pas très surprenant que la Fed envisage de porter sa cible à 3 % afin d’ancrer définitivement les attentes inflationnistes à la hausse. Les marchés de l’emploi et la croissance du PIB aux États-Unis ont fait preuve d’une résilience impressionnante dans le sillage de l’inflation provoquée par la pandémie et, en général, les cibles d’inflation plus élevées ont tendance à maintenir les décideurs dans les limites de la théorie monétaire traditionnelle. Les banques centrales préfèrent garder les choses simples : plus la fourchette cible est élevée, moins elles sont susceptibles de manquer de marge de manœuvre pour réduire les taux d’intérêt et de devoir se fier à des outils non traditionnels, comme les taux négatifs et l’assouplissement quantitatif.

La réaction attendue du marché

À notre avis, le marché pourrait – ou peut-être devrait – interpréter une révision à la hausse de la cible d’inflation comme un signal positif. Cette décision indiquerait que l’économie n’a pas besoin d’être aussi restreinte, toutes choses étant égales par ailleurs, et démontrerait que la Fed consent à laisser l’économie surchauffer. Cela montrerait également que sa décision antérieure d’adopter une cible d’inflation moyenne est un premier pas qui l’éloigne de la limite inférieure de zéro.

Il ne faut pas oublier que toutes les banques centrales souhaitent que la courbe des taux soit positive. On la considère comme une mesure de la normalité économique, mais cette limite de 2 % signifie que les décideurs doivent souvent restreindre la croissance, précisément au moment où les tendances commencent à s’enraciner. Cette inversion délibérée du risque peut être étonnamment dommageable : elle force les investisseurs à conserver des liquidités alors qu’ils devraient obtenir une compensation pour le risque lié à la duration. Elle pousse le capital à devenir improductif et paresseux, et met du sable dans l’engrenage économique. Nous devrions plutôt chercher à ce que le capital soit à la chasse à la croissance, en prenant des risques mesurés et en finançant l’avenir.

L’une des hésitations des décideurs est peut-être qu’en changeant de cible, ils risquent de désarrimer complètement les attentes inflationnistes. Par exemple, le marché pourrait voir une hausse à 3 % et commencer immédiatement à spéculer sur une hausse à 4 %. Une telle perte de contrôle du discours présente des risques importants pour la Fed. Les exercices de communication sont un élément essentiel de la trousse à outils des banques centrales; c’est pourquoi, la Fed lancera probablement un programme de recherche dès le début pour explorer les conséquences potentielles d’un tel changement.

Contrairement à leurs pairs de la Fed, les dirigeants de la Banque du Canada sont peu susceptibles de modifier leur cible d’inflation actuelle. Comme ma collègue Brittany Baumann l’a mentionné dans Diverging Paths : Derrière le schisme économique entre les États-Unis et le Canada, une récente scission entre les économies américaine et canadienne révèle des forces et des faiblesses sous-jacentes très différentes. La sensibilité du Canada aux taux d’intérêt, par exemple, donne à penser que les marchés de l’emploi et de l’habitation sont tout simplement incapables de résister à des hausses de taux continues, tout comme leurs homologues américains.

Que les cibles d’inflation soient modifiées ou non, il reste qu’il est peu probable que les taux d’intérêt de la prochaine décennie reflètent ceux de la décennie précédente. Les répartitions institutionnelles ont déjà changé en conséquence au cours des 12 à 18 derniers mois – les liquidités ont offert une valeur refuge pendant le resserrement; cependant, nous semblons avoir atteint le sommet du cycle monétaire et les actifs sans risque n’offrent pas une exposition optimale aux futures baisses de taux. Une nouvelle dynamique prend forme – une dynamique où les investisseurs institutionnels disposent d’une longue marge de manœuvre pour que le cycle complet se déroule.

Pour en savoir plus sur le marché, veuillez communiquer avec votre partenaire, Ventes institutionnelles de BMO.

Ne pas diffuser à l’extérieur du Canada.


Certains des produits et services offerts sous le nom BMO Gestion mondiale d’actifs sont conçus spécifiquement pour différentes catégories d’investisseurs issus d’un certain nombre de pays et de régions, et peuvent ne pas être accessibles à tous les investisseurs. Les produits et les services sont offerts seulement aux investisseurs des pays et des régions où les lois et règlements applicables l’autorisent.


La présente communication constitue une source générale d’information. Elle n’est pas conçue comme une source de conseils juridiques, fiscaux ou de placement et ne doit pas être considérée comme telle. Les placements particuliers ou les stratégies de négociation doivent être évalués en fonction de la situation de chaque investisseur. Il est recommandé aux particuliers de demander l’avis de professionnels compétents au sujet d’un placement précis. Le rendement passé ne garantit pas le rendement futur.


Sauf indication contraire, tous les chiffres et relevés sont en date de la fin du mois. Le rendement est calculé avant déduction des frais de gestion. Le rendement passé n’est pas garant des résultats futurs.


Les renseignements fournis dans le présent document ne constituent pas une sollicitation ni une offre relative à l’achat ou à la vente de titres, et ils ne doivent pas non plus être considérés comme des conseils de placement. Tout placement comporte des risques, notamment la perte potentielle du capital. Le rendement passé n’est pas garant du rendement futur.


Certains énoncés contenus dans le présent document peuvent constituer des déclarations prospectives, notamment ceux où l’on trouve les expressions « s’attendre à », « prévoir » et des mots et locutions semblables. Les déclarations prospectives ne sont pas des données historiques; elles correspondent plutôt aux prévisions ou aux attentes actuelles de BMO Gestion d’actifs en ce qui a trait à des résultats ou à des événements futurs. Ces déclarations prospectives sont assujetties à un certain nombre de risques et d’incertitudes qui pourraient faire en sorte que les résultats ou les événements réels différeraient sensiblement des prévisions ou des attentes actuelles. Même si BMO Gestion d’actifs estime que les hypothèses inhérentes aux déclarations prospectives sont raisonnables, ces dernières ne garantissent en rien les résultats futurs. Nous mettons donc en garde le lecteur de ne pas se fier indûment à ces déclarations en raison du caractère incertain qui leur est inhérent. BMO Gestion d’actifs ne s’engage d’aucune façon à mettre à jour ou à réviser publiquement ses déclarations ou données prospectives, que ce soit par suite de nouvelles données, d’événements futurs ou d’autres facteurs qui auraient une incidence sur ces données, sauf dans la mesure requise par la loi.


Tous droits réservés. Les renseignements contenus dans les présentes : 1) sont confidentiels et appartiennent exclusivement à BMO Gestion d’actifs inc.; 2) ne peuvent être reproduits ni distribués sans le consentement écrit préalable de BMO Gestion d’actifs; et 3) ont été obtenus de tierces parties jugées fiables, mais qui n’ont pas fait l’objet d’une vérification indépendante. BMO Gestion d’actifs et ses sociétés affiliées ne peuvent être tenues responsables de toute perte ou de tout préjudice résultant de l’utilisation de cette information.


BMO Gestion mondiale d’actifs est une marque de commerce sous laquelle BMO Gestion d’actifs inc. et BMO Investissements inc. exercent leurs activités.


MC/MD Marque de commerce / marque de commerce déposée de la Banque de Montréal, utilisée sous licence.

Reccomended

article collection

Mutual Funds

Perspectives

27 août 2024

La faible volatilité est-elle prête pour la reprise?

Après deux ans d’inflation galopante et de hausse des taux d’intérêt, les marchés sont sur le point d’amorcer une autre rotation factorielle. Afin de guider les investisseurs institutionnels tout au long de cette transition, Lu Lin, Chef, Placements quantitatifs et optimisation stratégique à BMO Gestion mondiale d’actifs, explore les perspectives et les occasions des stratégies à faible volatilité.
27 août 2024

Un changement de paradigme dans le secteur de l’or

Les prix de l’or ont atteint des sommets au début de 2024 en raison de la hausse de la demande de métaux précieux par les banques centrales. Alors que les questions sur la dédollarisation et la dette publique pourraient menacer le dollar américain, Hoa Hong, gestionnaire de portefeuille, retrace l’évolution de l’or en tant que catégorie d’actif, en évaluant les principaux risques et en examinant le rôle stratégique du métal précieux dans les portefeuilles institutionnels.
27 août 2024

Les marchés privés : une évaluation de mi-exercice

Alors que les tensions liées à la liquidité persistent entre les commanditaires et les commandités, Adam Horwath, partenaire, cochef, Gestion de portefeuille et membre de la haute direction de Partners Group, présente un aperçu de l’état actuel des quatre grandes sous-catégories d’actif des marchés privés et les avantages d’une stratégie évolutive.
22 août 2024

Investissement responsable : La promesse et les risques des portefeuilles personnalisés

Les investisseurs institutionnels devraient-ils consacrer le temps et les efforts nécessaires pour créer des portefeuilles sur mesure axés sur l’investissement responsable (IR) ou les facteurs ESG, et réaliser leurs mandats ou existe-t-il une meilleure solution?
19 août 2024

Seuls les idiots se précipitent : la prudence exige une rotation et non une liquidation

Les marchés restent vigoureux, mais il y a des raisons de faire preuve d’une certaine prudence.
17 juillet 2024

Politique et profits : Trouver des gains pendant une année électorale

La bonne nouvelle, c’est qu’elle demeure en assez bonne position et que nous ne voyons aucun signe dans le marché qui nous inquiète suffisamment pour justifier une importante aversion pour le risque.